Lors de notre périple en bateau, notre passage à Mopélia nous a particulièrement marqué...
Voici la vidéo et un extrait du "livre de bord"...
https://youtu.be/naRNdf87dPML'atoll de Mopélia (16°49'S/153°57'W) est, avec celui de Scilly, le plus occidental de la Polynésie française. Sur le motu principal, long de 4M (7km) et large de 200 mètres environ, ne vit plus qu'une famille avec deux employés pour la récolte du coprah (noix de coco), en tout six adultes et trois enfants.
Tous les soirs nous dînons avec la famille. Ce soir l'alizé est léger, assis sur une chaise en plastique je contemple le décors : Onze cochons, un groupe électrogène complètement rouillé, trois canards, neuf chiens, un vélo d'enfant hors d'usage, des poules, des outils épars, tout cela vit en liberté et en bonne intelligence à deux pas de la plage de sable blanc. La cuisine se fait au feu de bois dans des chaudrons noircis par la fumée, tout n'est fait que de planches et de tôles ondulées mais, le croirez-vous, nous ne nous sommes jamais sentis si proche du paradis.
Trois panneaux solaires alimentent deux petites ampoules, la télévision satellite et... la console de jeux de Tetuanui. Pas de groupe électrogène, pas de frigo... Des citernes stockent l'eau de pluie. Bellingshausen (du nom de l'atoll voisin), l'un des petits garçons, n'a que vingt mois mais il montre une extraordinaire vitalité. Il court pieds nus en criant après les cochons et les chiens qui détalent devant lui. Marie-Justine, jeune et jolie maman de vingt ans prépare le repas.
Justement, ce soir au menu : Langoustes, énormes crabes de cocotier, omelette d'œufs de sterne, ragout de frégate. Kalami, le patriarche, nous raconte un peu sa vie.
- Je suis né à Bellingshausen, un atoll qui est à 65M au NW de Mopelia. On faisait le coprah là-bas aussi...
- Tu es donc venu à Mopélia après ?
- Non, j'ai d'abord fait la pêche à Papeete, ça gagnait bien au début... Après ça valait plus le coup, alors nous sommes venus nous installer ici...
- Et maintenant, qui habite Bellingshaussen ?
- Plus personne... Avant c'était mon petit frère qui l'occupait avec sa femme et leurs six enfants, plus un couple d'employés... Et puis en 1997, il y a eu le cyclone Martin...
Il raconte en parlant doucement, laissant des silences entre chaque phrase, comme si son regard perdu dans le vide vivait la scène :
- Le vent... 200 Km/h... Les grosses déferlantes qui commencent à recouvrir le motu... Certains essayent de se réfugier sur le bloc de béton de la cuve à eau... Emportés... A chaque train de déferlantes, une sœur, un frère, emportés... La femme qui hurle : le bébé, le bébé.... Mon frère qui crie : Mettez-le dans la glacière ça flottera peut-être... Emportés... Seul la femme de l'employé s'en est tirée en grimpant à un cocotier et en s'attachant à l'arbre...
Cueilli à froid, en pleine euphorie, la bouche pleine de langouste, j'ai du mal à déglutir...
La nuit dernière nous sommes allés pêcher les langoustes sur le platier. Kalami nous a déposé à trois mille au nord des farés (lieu de vie). Le lagon était calme, magnifique sous la lune, moment magique. J'y suis allé de mon refrain :
- Regarde Kalami, là, tu vois Sirus, Canopus, Riguel Al Kantarus, tu te rends compte que ces étoiles ont sans doute guider tes ancêtres lorsqu'ils ont exploré le Pacifique. La forme des nuages, de la houle, le vol des oiseaux pouvaient leur indiquer la proximité d'une terre...
Il garde le silence un moment puis avec son inimitable accent polynésien, ses 120 kg, ses grosses pattes et ses larges épaules :
- C'est des conneries tout ça, c'est pour remplir les livres... Ils sont allés tout droit, comme ça ! Ricane-t-il en fendant l'air de sa main ouverte...
… :-(
Ce matin nous attendons un thonier venu de Papeete distant de 260M (470 km). Il doit apporter du matériel et les vivres de base à la famille. Depuis quelques mois, la goélette, ce petit cargo qui ravitaille les îles ne vient plus régulièrement. Une famille, ce n'est pas rentable... Alors on se débrouille, des amis, la famille à Papeete remettent le matériel à des bateaux de pêche, au cas où ils passeraient près de Mopélia... Kalami est venu à bord de l'Oie Sauvage. Dans les jumelles, nous apercevons le thonier à proximité de la passe distante de 4M. Il appelle le capitaine par notre VHF.
Celui-ci l'informe qu'il a talonné dans la passe et qu'il hésite à faire une deuxième tentative. Nous sautons dans la pirogue après l'avoir informé que nous venons pour le guider. Embarquement sur le thonier : Seize mètres, en aluminium, trois hommes d'équipage en plus du capitaine, bateau en très bon état. La longue ligne à thon de quatre vingt kilomètres (80 km) est à poste, roulée sur un grand touret de deux mètres de long sur un mètre cinquante de diamètre. C'est pour cela que ces pêcheurs s'appèlent les « long liners » Dans la timonerie, pas besoin de parler tahitien pour comprendre :
- Vas-y ! Un peu à gauche, un peu à droite, vas-y, vas-y...
- J'le sens pas, j'le sens pas...
De chaque coté de la passe, à quelques dizaines de mètres, la longue houle du Pacifique brise avec fracas. Au dernier moment, il met tout à droite comme un cheval qui refuse l'obstacle. Ils s'y reprendront à trois fois avant que le capitaine nous dise :
- Je reste dehors.
Je le comprends, la passe mesure environ vingt mètres de large avec un fort courant sortant la plupart du temps et des haut-fonds non balisés en entrée de lagon. Nous n'en menions pas large lorsque nous l'avons embouquée la semaine dernière. Dans une houle de trois mètres, nous mettons la pirogue à couple du thonier et la chargeons de tubes d'aluminium, de vivres, de sacs de ciment, d'objets divers. Il faudra trois voyages, huit miles à chaque aller-retour, beaucoup d'essence dépensée, un bien précieux ici...
Aujourd'hui, journée chasse sous-marine près de la passe. Nous nous y rendons avec l'Oie Sauvage en remorquant leur pirogue pour économiser l'essence. Marie-Justine et les enfants sont du voyage, l'ambiance à bord est chaleureuse. Dominique sort les petits gâteaux et les jus de fruit. Au NW de l'atoll, à l'extérieur du lagon, près de la passe, Camille, le fils adoptif de Kalami, m'amène sur l'épave du « Seeadler », corsaire allemand qui a écumé la région durant la première guerre mondiale. Son Commandant, le capitaine Felix Von Luckner, arraisonnait les cargos, les contraignait à se rendre, puis embarquait à son bord tout l'équipage avant de couler le navire au canon.
Le Commandant ennemi se voyait attribuer la meilleure cabine du bord et dînait à la table du flamboyant Capitaine. La guerre en gentlemen quoi ! Mais un jour, il mouille son ancre à l'entrée de la passe. Pour une raison qui, à ma connaissance, n'a jamais vraiment été élucidée, le grand trois mâts à vapeur de quatre vingt mètre de long est drossé sur le récif et détruit par les déferlantes. Dans une eau étonnamment limpide, je contemple ce qui reste du Corsaire : les moteurs, des poutrelles, beaucoup de poissons perroquets et des requins.
Ce sont les poissons perroquet, les carangues et les « gros yeux » que nous tirons le plus. Mais les requins, qui tournent depuis le début de la pêche, deviennent de plus en plus nerveux. Je cris à Camille :
- C'est un peu chaud là, non ?
- Non, non, t'en fait pas, mais tiens bien les poissons au dessus de ta tête hors de l'eau quand tu les ramènes à la pirogue, répond-il, paisible...
Sophie, l'épouse de Kalami souffre de terribles crise d'asthme. Il y a un mois maintenant elle a été proche de « l'issue fatale » comme on dit. Heureusement des amis popas (français) venus rendre visite à la famille en voilier, ont contacté Papeete par BLU. Une EVASAN (Évacuation sanitaire) a immédiatement été lancée. Le pilote de l'Armée de l'air a posé son Puma en virtuose sur la plage, l'extrémité des pales à quelques mètres des cocotiers. Masque à oxygène, embarquement, geste de la main, et c'est l'âme de Mopélia qui s'envole. Trois semaines après, elle est revenue avec un thonier, le jour de notre arrivée à Mopélia, joyeux retour Sophie !
Il est temps de nous préparer pour de plus longues traversées : Gréement des lignes de vie, confection du bidon de survie, rappel des gestes de base :
- Le feu se déclare dans le coin cuisine, qu'est-ce que tu fais ?
- Je bondis sur l'extincteur, j'attaque le feu à la base...
- Bien, je suis gravement blessé et inconscient, qu'est-ce que tu fais ?
- Les gestes de premiers secours et j'appelle le Centre Médical de Toulouse au 05 61 49 33 33 avec la check-list collée sous la table à carte.
- Bien, je fais une crise cardiaque et je clamse, là, ça y est, j'suis mort, qu'est-ce que tu fais ?
Je ne sais pas pourquoi, elle me regarde bizarrement, comme si j'avais dit quelque chose d'incongrue.
- Hé bien qu'est-ce que tu fais, tu as vérifié, ça y est ton Tarzan est au paradis des navigateurs !
- Ben je ne sais pas moi, je fais rien...
- Comment ça tu fais rien !
- Ça m'agace tes questions à la noix ! J'appelle ma Mère, voilà !
- C'est pas une réponse ça ! D'abord, il n'y a plus aucune urgence, donc cool, tu notes tout dans le livre de bord, tu prends des photos de ma pomme, éventuellement tu appelles le CROSS GRIS-NEZ pour demander des instructions et tu me balances par dessus bord !
- Mais t'es malade, je te garde !
- Pas possible chérie, il fait trop chaud, au bout de quelques jours, le spectacle ne serait pas folichon et risquerait t'entacher le merveilleux souvenir que tu veux garder de moi...
Elle me regarde encore avec son drôle d'air, c'est curieux je n'arrive pas à la faire rire aujourd'hui...
- Ah, puis n'oublie pas, tu me mets la ceinture de plomb avant le grand plongeon, me voir flotter dans le sillage de l'Oie Sauvage risquerait de perturber tes nuits... Le plus simple ensuite est de rallier directement Nouméa, c'est mieux pour les formalités...
Prochaine étapes : Les Iles Cook...